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Arménie : devoir de mémoire, devoir d’action

A l’heure où nous commémorons le 109e anniversaire du premier génocide du XXe siècle, celui des Arméniens, devons-nous considérer que le peuple arménien, un siècle plus tard, est toujours condamné au tragique bégaiement de l’Histoire. Les 19 et 20 septembre derniers, l’Arzebaidjan, après avoir ordonné un blocus inhumain  de 9 mois, lança son offensive sur l’Arstakh, condamnant 150.000 arméniens du Haut-Karabagh sur les routes de l’exode. Face à cette barbarie, comme il y a 109 ans, « Nul n’éleva la voix dans un monde euphorique », l’Europe et la communauté internationale ont préféré fermer les yeux laissant le régime de Bakou continuer à effectuer cyniquement et méthodiquement ses basses œuvres de nettoyage ethnique.

 

L’Arménie est une continuation de l’Europe, « le prolongement du génie latin en Orient» comme l’écrivait Anatole France en 1916 et pourtant l’Europe a laissé mourir l’Artsakh. Devons-nous pourtant baisser les bras et définitivement nous taire ? Non, car ce combat est celui de l’universel, de notre humanité. Même si nos regards sont aussi tournés vers l’Ukraine ou le Proche-Orient, plus que nul par ailleurs, notre humanité se joue aussi au Sud-Caucase.

 

Si la France croit toujours en son rôle singulier dans le concert des Nations alors elle ne peut se taire mais encore agir, avant qu’il ne soit définitivement trop tard. Agir politiquement, militairement et diplomatiquement.

 

Politiquement, la France doit soutenir le Gouvernement en exil du Haut-Karabagh et même l’accueillir à Paris. Paris doit dire ce que Erevan ne peut plus dire, vivant sous la menace quotidienne des armes de son voisin azéri. Soutenir la représentation politique des Artsakhiotes, c’est offrir une vraie perspective de non-dissolution et de retour de la population de l’Artsakh conformément à la résolution votée au Sénat français le 17 Janvier 2024 condamnant l’offensive militaire de l’Azerbaidjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh.  C’est aussi permettre à la République d’Arménie de dégager les marges de manœuvre qu’elle n’a plus. Comme si l’Histoire se répétait sous nos yeux, nous nous retrouvons 25 ans plus tard avec une configuration similaire à celle de la reconnaissance par la France du génocide des Arméniens que nous commémorons aujourd’hui. L’Arménie ne la demandait pas à l’époque en raison des menaces de la Turquie négationiste mais elle s’est finalement réjouie de la reconnaissance historique par la République française qui a fait accomplir un pas de géant à cette cause universelle.

 

Militairement, nous ne pouvons laisser seuls l’Arménie face aux visées expansionnistes de la dictature de Bakou. D’une part, l’Azerbaïdjan occupe déjà 153 km2 de territoire arménien. D’autre part et surtout, le régime de Bakou veut la poursuite de la guerre et multiplie les provocations pour ne pas signer d’accord de paix. Le gouvernement Pachinian a permis le rapprochement de l’Arménie et de l’Union européenne quand, dans le même temps, une communauté de valeurs antidémocratiques et antieuropéenne s’est constituée entre les pouvoirs autoritaires de Moscou, Bakou et Ankara. Il est de notre intérêt crucial d’armer significativement l’Arménie contre les menaces de l’Azerbaïdjan, car ces menaces sont aussi celles de la Russie contre les valeurs libérales incarnées par l’Arménie au Sud-Caucase.

 

Ce 5 avril, l’Union Européenne et les Etats-Unis se sont engagés à soutenir la sécurité de l’Arménie à la hauteur dérisoire de 290 millions de dollars sur quatre ans. A l’hiver dernier, notre ministre des Armées Sébastien Lecornu a signé une lettre d’intention pour la livraison de matériel défensif, trois radars, des jumelles de vision nocturne, quelques véhicules de transport blindés.

Ces initiatives sont louables mais absolument pas à la hauteur de la menace russo-azerbaïdjanaise. Il est donc indispensable que le soutien militaire à l’Arménie change de dimension si nous voulons d’une part, qu’il ne soit pas perçu comme une simple provocation accroissant les risques d’agression de la part de Bakou avec le soutien de Moscou et si nous voulons d’autre part réellement faire reculer ces menaces à nos frontières dont l’Arménie constitue actuellement l’un des avant-postes. N’oublions pas les mots de Sylvain Tesson « Si on la considère comme une extension, une ombre projetée de l’Europe au seuil de la steppe, un éclat de nous-mêmes fiché dans l’Orient, alors c’est nous-mêmes qui sommes frappés par ses tourments. Si on use d’une image d’architecture militaire, l’Arménie est une échauguette, un avant-poste de l’Europe… Lisons Ivanhoé de Walter Scott : la chute du poste avancé préfigure toujours celle du donjon central».

 

Diplomatiquement, la France ne peut accepter que la prochaine COP29 ait lieu du 11 au 22 novembre 2024 à Bakou. Comme j’ai pu le dénoncer en décembre dernier avec d’autres élus français[1], le choix pour cette édition de la COP apparaît comme un blanc-seing au régime d’Ilham Aliev qui n’a cessé de combattre ses opposants à l’aide d’un système policier qui en fait un des États les plus répressifs de la région. La France pourrait entrainer l’Union européenne pour boycotter cette COP de la honte et du déshonneur qui se déroulera dans un pays hostile à la France, aux valeurs européennes et à toute question environnementale.

 

Il est tard aujourd’hui pour l’Arménie et les Arméniens mais il n’est pas encore trop pour que la France fidèle à son Histoire et ses valeurs universelles agisse résolument. A la veille d’un énième discours sur l’Europe du Président de la République, espérons que les murs de la Sorbonne résonne des mots d’Anatole France prononcés dans ces mêmes lieux le 9 avril 1916: « L’Arménie expire. Mais elle renaîtra. Le peu de sang qui lui reste est un sang précieux dont sortira une postérité héroïque. Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas. »

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