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Xavier Bertrand, dans Le Monde : « Emmanuel Macron est dans un état de cohabitation »

 

Le président (Les Républicains) de la région Hauts-de-France appelle, dans un entretien au « Monde », le chef de l’Etat à adopter « une autre méthode et un autre projet », en nommant un nouveau premier ministre qui n’appartiendrait pas à la majorité actuelle.

 

Quel regard portez-vous sur la manière dont Emmanuel Macron s’y est pris pour faire adopter sa réforme des retraites ?

La situation actuelle n’est pas le fruit du hasard. La réforme des retraites signe l’échec de sa méthode consistant à avancer texte par texte, alors même qu’il n’a pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Or, sans majorité absolue, les institutions de la V e République ne peuvent pas fonctionner. Au lendemain des élections législatives, le président de la République a refusé de regarder cette vérité en face. Certes, il a été élu largement face à Marine Le Pen à la présidentielle, mais la vérité, c’est qu’il a été élu pour faire rempart, une fois de plus, au Front national [aujourd’hui Rassemblement national], pas pour appliquer l’intégralité de son projet.

 

Etes-vous d’accord pour dire qu’Emmanuel Macron aurait davantage dû discuter avec le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, plutôt qu’avec le président de LR, Eric Ciotti ?

Oui, cela a été une faute majeure de sa part d’oublier le dialogue social. Un vrai dialogue social, cela veut dire respecter ses interlocuteurs et accepter de prendre des idées des autres dans le cadre d’une négociation, et non d’une simple concertation. L’autre erreur d’Emmanuel Macron est de n’avoir tiré absolument aucun enseignement de la crise des «gilets jaunes», qui a mis en avant la précarisation de la France qui travaille, et de celle liée au Covid-19, qui a transformé le rapport au travail. Le gouvernement a eu tort de dire aux gens : «On a beaucoup de choses à discuter sur le travail, mais, avant, vous allez travailler deux ans de plus.» LR n’a-t-il pas une part de responsabilité dans la situation actuelle ? Et puis quoi encore ! Arrêtons de rejeter la responsabilité de cet échec sur qui ce soit d’autre que le président et le gouvernement d’Elisabeth Borne. Au Parlement, la recherche d’une majorité a échoué parce qu’il manquait de la justice sociale dans ce texte, en particulier pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et les femmes.

 

Pourquoi êtes-vous opposé à un accord de coalition avec la majorité ?

Nous sommes en opposition. Les Républicains ne sont pas solubles dans la Macronie, car cela voudrait dire que l’on accepterait d’aller à rebours de nos convictions et de nos valeurs. Notre projet est simple, il tourne autour de plus de justice, plus d’autorité et plus de décentralisation. Et surtout avoir une ligne plus sociale, en agissant davantage pour les milieux populaires. Ce n’est pas la même chose que le projet du gouvernement.

 

Dès lors, comment Emmanuel Macron peut-il sortir de cette crise ?

Il doit reconnaître qu’en l’absence de majorité absolue il est dans un état de cohabitation. S’il ne le fait pas, il n’aura que deux possibilités : la dissolution ou la poursuite de la méthode du texte par texte, qui est vouée à l’échec, car le débauchage ne fonctionne pas. Sans changement, notre pays est condamné, pour l’instant, à faire du surplace… Et, d’ici cent jours, il ne peut rien se passer. Nous sommes dans une situation qui peut être comparée à la période des «gilets jaunes». A l’époque, Emmanuel Macron avait fait le grand débat; aujourd’hui, ce sont les cent jours.

Mais il y a plusieurs diérences avec la situation d’il y a cinq ans : aujourd’hui, l’état des nances publiques ne permet plus de faire des chèques, il n’y a plus de majorité absolue et si les Français sont toujours révoltés, ils sont désormais terriblement aaiblis par l’ination. On est dans une vraie situation de risque. Vous avez vu la violence des réactions quand le président se déplace ? La France ne peut pas tenir quatre ans comme cela, car vous aurez soit la paralysie, soit pire encore, les violences, les menaces, les intimidations, le désordre. Des élus menacés. L’Elysée, Matignon et le Conseil constitutionnel bunkérisés.

 

Comment cette cohabitation doit-elle se traduire concrètement ?

La cohabitation, c’est quand François Mitterrand, en 1986 et 1993, appelle un autre premier ministre [Jacques Chirac, puis Edouard Balladur], qui n’est pas de son camp, pour mener une autre politique. Jacques Chirac aussi, en 1997 [avec Lionel Jospin]. Ce qu’il nous faut, c’est une autre méthode et un autre projet. Et si c’est un premier ministre issu de la coalition actuelle, composée de Renaissance, du MoDem et d’Horizons, cela ne peut pas fonctionner. Il doit venir d’une autre formation. Il y en a deux de nature à apporter une majorité à l’Assemblée nationale : LIOT [Libertés, indépendants, outre-mer et territoires] et LR. Mais tout LR. C’est-à-dire ceux qui étaient favorables à la réforme des retraites et ceux qui s’y opposaient. Sur la réforme des retraites, Mme Borne a souhaité avoir un tête-à-tête avec la direction de LR en oubliant le groupe LIOT et l’ensemble du groupe LR.

 

A qui pensez-vous comme premier ministre LR ? Vous ?

C’est le choix du président. Personnellement, je ne suis pas candidat. On est candidat à l’élection présidentielle, pas à Matignon. Si je l’avais été, je vous dirais que tout est formidable depuis un an et j’aurais soutenu la réforme des retraites.

 

Quel est votre lien avec le député du Lot Aurélien Pradié ? On a beaucoup dit qu’il avait été en service commandé pour vous sur la séquence des retraites…

On a des points d’accord avec Aurélien, mais il est grand, il a son autonomie. Il y a une bre sociale qui nous rapproche, comme avec d’autres chez LR. Cette droite populaire va au-delà des 19 députés qui ont voté la motion de censure.

 

N’avez-vous renoncé à rien pour la présidentielle de 2027 ?

Ceux qui vous parlent de 2027 avec des certitudes, je pense qu’il faut vraiment s’en méer. La France ne peut pas tenir quatre ans dans l’état actuel. Ma position sera d’apporter des solutions au pays, comme je l’avais fait au moment de la crise des «gilets jaunes». J’avais proposé cette prime de 1 000 euros qui est devenue la «prime Macron», mais aussi cette idée d’aide pour le carburant. Je veux continuer à m’exprimer sur les sujets, que ça plaise ou pas.

 

Que pensez-vous du silence de Laurent Wauquiez dans cette période ?

Cela aurait été bien de connaître sa position sur les retraites avant le vote de la réforme. Les Français veulent savoir ce que l’on pense maintenant sans attendre quatre ans.

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