Présidente de la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques, la sénatrice LR azuréenne Dominique Estrosi-Sassone dresse un constat accablant.
Article par Nice-Matin : https://www.nicematin.com/politique/on-va-vers-un-blocage-les-revelations-de-dominique-estrosi-sassone-sur-la-renovation-energetique-en-france-831216
Article de Lionel Paoli
Depuis le Grenelle de l’environnement (Le Grenelle de l’environnement est un ensemble de rencontres organisées en septembre et décembre 2007, pour prendre des décisions à long terme en matière d’environnement et de développement durable., ndlr), la France revendique une politique ambitieuse en matière de rénovation énergétique.
Les gouvernements successifs ont multiplié les dispositifs pour encourager les Français à isoler leurs logements: taux de TVA réduit, éco-prêt à 0%, crédit d’impôt… Chaque année, entre 4 et 5 milliards d’euros sont mis sur la table pour éradiquer les « passoires thermiques » (Logements dont le diagnostic de performance énergétique est de classe G ou F., ndlr).
Les résultats? Décevants. Au point que le président du groupe écologiste au Sénat, Guillaume Gontard, a réclamé l’ouverture d’une enquête parlementaire.
Nommée à la tête de la commission ad hoc, la Niçoise Dominique Estrosi-Sassone met en garde: « Nous allons vers une situation de blocage. »
En 2013, le gouvernement visait 500.000 logements rénovés par an. Or, entre 2008 et 2018, seuls 200.000 logements l’ont été! On est très, très loin du compte…
Les chiffres augmentent, mais pas suffisamment. La vérité, c’est que les objectifs n’ont jamais été tenus! Et il n’y a quasiment aucune chance qu’ils le soient dans les cinq ou dix ans. Or, la loi de transition énergétique du 17 août 2015, complétée par celle du 22 août 2021, prévoit que les passoires thermiques dans lesquelles vivent encore 12 millions de nos compatriotes ne pourront plus être mises en location à compter de 2028. Je redoute un effet boule de neige. On va vers une situation de blocage. Dans une situation de crise de l’immobilier, c’est extrêmement préoccupant.
Faut-il retarder les échéances?
Cela peut être nécessaire pour éviter une catastrophe sociale. Mais cela ne peut passer que par une nouvelle loi. Le dispositif « Ma Prim Rénov », lancé le 1er janvier 2020, ne semble pas opérationnel. En octobre dernier, la Défenseure des droits a pointé les effets désastreux d’une procédure entièrement dématérialisée et en partie automatisée… Il y a eu énormément de bugs. C’est un casse-tête: si on n’est pas un cador sur Internet, il est très difficile d’aller au bout de ses démarches. Beaucoup de nos concitoyens s’arrachent les cheveux et finissent par renoncer. Certes, des accompagnateurs « physiques » peuvent intervenir… mais uniquement après que le dossier a été accepté, pour suivre les travaux!
La sous-traitance de la plateforme par l’Agence nationale de l’habitat vous semble pertinente?
Cela pose un problème de lisibilité. Tout comme le projet de recourir, dès cette année, à des acteurs privés pour muscler le dispositif. Il faut évaluer cela, c’est une évidence…
Il semble aussi que les fonds promis tardent à être versés?
Il y a eu quelques exemples de retards de paiement, mais cela va en s’améliorant. Aujourd’hui, on ne compte qu’une centaine de dossiers bloqués sur 670.000.
Sur ces 670.000 dossiers, combien de rénovations totales?
Seulement 66.000. Neuf fois sur dix, les propriétaires se contentent de rénovations partielles – dites « geste par geste ». Les Français isolent leurs combles, changent leur chaudière… Ce n’est pas inutile, mais ce n’est pas suffisant.
Quid de l’effet d’aubaine qui entraînerait un nombre important de fraudes?
On en entend parler. Mais quelle est l’ampleur de ces fraudes? C’est ce que devra déterminer la commission d’enquête. Les arnaques peuvent venir des deux côtés, aussi bien des demandeurs que des artisans. Pour les limiter, la loi prévoit que les intervenants soient labellisés RGE [Reconnu Garant de l’Environnement]. Le souci, c’est que le nombre d’entreprises RGE est largement insuffisant. Il n’y en a que 63.000; Bruno Le Maire en veut 250.000 d’ici 2028! Un sacré gap à franchir.
Pourquoi y en a-t-il aussi peu?
Il y a un souci de formation. Mais les artisans pointent aussi la lourdeur des démarches à accomplir pour décrocher ce label. [Elle soupire] On en revient toujours au même point.
Le bilan carbone des rénovations est également pointé du doigt?
C’est une question que les gouvernements ont clairement oublié de se poser. Quand on remplace des chaudières fioul par des chaudières gaz, dans lesquelles plus de 90% des matériaux d’isolation sont issus de la pétrochimie plutôt que de la biomasse, c’est un problème…
Vous avez entendu, ces derniers jours, tous les anciens ministres chargés du logement et de la transition écologique depuis 2012. Qu’avez-vous appris?
La plupart d’entre eux considèrent que fixer des objectifs était déjà positif, même s’ils n’ont pas été tenus. Mais tous ont reconnu un manque de lisibilité, de visibilité et de simplicité des dispositifs proposés aux particuliers. Il faut que tout cela soit rendu plus accessible, inscrire les aides dans la durée. On n’a pas arrêté de changer les règles! Il faudrait instituer une loi de programmation pluriannuelle de nature à sécuriser ces dispositifs pour tous les acteurs.
Quels sont les pouvoirs d’action de votre commission d’enquête?
Nous allons demander une étude pour comparer notre situation à celles d’autres pays plus efficaces comme l’Allemagne ou la Belgique: pourquoi ça marche chez eux et pas chez nous? De toute évidence, notre système d’aide à la rénovation est trop complexe. Les bénéficiaires doivent savoir précisément combien ils vont recevoir de l’État, quel sera leur reste à charge. Il faudra aussi éclaircir la question des banques, qui semblent assez frileuses sur le sujet.
À quelle date remettrez-vous votre rapport?
Fin juin. Il contiendra un certain nombre de propositions. Notre but est d’en tirer une proposition de loi. Il faut absolument qu’il en sorte quelque chose de concret!