Les professionnels de la culture reprochent souvent à leurs élus de ne pas bien connaître leurs métiers et ses contraintes, de « manquer de formation. » Reste à savoir à quoi les élus doivent se former. Réponse avec Jean-Philippe Lefèvre, vice-président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture en charge de cette question.
Article par La Gazette des communes : https://www.lagazettedescommunes.com/842416/les-elus-a-la-culture-manquent-ils-de-formation/
Article de Hélène Girard
De colloque en séminaire, c’est un reproche récurrent : les professionnels de tous les domaines culturels pointent le « manque de formation » de leurs élus, auprès desquels ils affirment devoir « faire de la pédagogie » : expliquer les règles et pratiques de leurs métiers, les contraintes législatives et réglementaires de leurs secteurs, leurs missions…
« Des élus éclairés et conseillés par les techniciens »
Des interpellations qui ne laissent évidemment pas indifférent Jean-Philippe Lefèvre, vice-président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), en charge de la formation des élus.
« Nous ne sommes pas dans une République où seuls des experts pourraient prétendre à la gouvernance, rappelle l’adjoint au maire de Dole (Jura) et vice-président « culture » du Grand Dole. N’oublions pas que la République est basée sur des élections, avec des élus éclairés et conseillés par les techniciens. » Et d’ajouter que « si certains pensent qu’il manque des formations pour les élus, on peut aussi se demander s’il ne manque manque pas, pour les professionnels, un module quant à l’environnement des élus, c’est à dire les équilibres politiques de leur assemblée et leur l’exécutif ? »
Répondre à une obligation de formation
En tout état de cause, si la FNCC organise des formations et charge l’un de ses vice-présidents de ce sujet, c’est bien qu’il existe un besoin. La formation est un droit pour les élus et, pour les titulaires d’une délégation dans les collectivités de plus de 3 500 habitants, c’est une obligation au cours de leur première année de mandat (loi 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux).
« Depuis les dernières élections municipales de 2020, 383 élus à la culture ont participé à nos formations », indique Jean-Philippe Lefèvre.
Gouvernance de la politique culturelle
Mais quel contenu donner aux formations des élus à la culture ? « Comme disait Jacques Duhamel, ‘le rôle du politique est de créer une atmosphère’, souligne Jean-Philippe Lefèvre. On est donc bien loin de savoir quelles sont les règles du transport des œuvres d’art ! Cela remet en perspective le rôle des formations des élus à la culture. »
Pour le vice-président de la FNCC, l’objectif de fond n’est donc pas de se former à « une politique de la lecture publique », ou « à la gestion d’un musée », mais « à la politique culturelle d’une collectivité dans son ensemble ». Autrement dit, « il s’agit de travailler sur la gouvernance, sur la manière d’orienter la politique culturelle, pas de procéder à des choix sectoriels. A chacun son job ! », résume Jean-Philippe Lefevre.
C’est pourquoi la FNCC intitule chacune de ses sessions de formations « l’élu et… (les tiers-lieux, la lecture publique, etc.) » : car « les formations permettent aux élus de trouver leur juste place, d’évaluer jusqu’où ils peuvent aller et là où ils ne doivent pas aller », explicite le vice-président de la fédération.
Syndrome de l’élu trop expérimenté ?
Dans son dernier ouvrage « Parcours et défis des élu.e.s à la culture aujourd’hui », publié cet automne, l’Observatoire des politiques culturelles, constate que pour les élus dotés d’une expérience politique, « la formation (au sens didactique et théorique du terme) n’apparait pas, ou plus, comme une préoccupation centrale. »
Avec un risque de trop grande assurance ? Pour Jean-Philippe Lefèvre, c’est sans doute là que le bât risque de blesser. « L’élu ancien dans la fonction a tendance à reproduire la même politique que lors de son précédent mandat. Au risque de faire un mandat de trop pour sa ville. C’est justement quand on est réélu qu’il faut se réinterroger et se former… voire de se réformer. »
Qu’est-ce qui pousse certains élus à la culture à se former ?
A lire les témoignages recueillis et analysés par l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) pour les besoins de son dernier ouvrage « Parcours et défis des élu.e.s à la culture aujourd’hui », édité cet automne, la volonté d’acquérir des compétences sectorielles et techniques, n’est manifestement pas ce qui motive les élus en charge de la culture à se former.
Auteur du chapitre intitulé « Formation des élu.e.s à la culture : l’échange d’expériences », Vincent Rouillon évoque en effet « la conviction intime [des élus] que trop savoir risquerait d’entraver l’imagination politique. »
Ce qui semble se vérifier avec les élus issus de monde la culture : « celles et ceux qui, par leur métier, pourraient revendiquer une maîtrise technique des enjeux culturels s’attellent davantage à la mettre à distance qu’à la perfectionner », poursuit l’auteur.
Quant aux autres, leurs motivations « sont plutôt liées à des questions d’acculturation plutôt que de fond. ». Et de souligner que le propos est plus de « s’imprégner » que de se former. En un mot, il est question d’« acculturation ».