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Xavier Bertrand : « Ne pas être dans le camp des bloqueurs » (Le Point)

ENTRETIEN. Après son échec à la primaire LR et la débâcle de son camp, Xavier Bertrand repart au combat, inquiet que le RN l’emporte dans cinq ans.

Article de Sébastien Le Fol et Nathalie Schuck

Article par Le Point : https://www.lepoint.fr/politique/xavier-bertrand-ne-pas-etre-dans-le-camp-des-bloqueurs-13-07-2022-2483129_20.php

Le 24 mars 2021, il officialisait dans nos colonnes sa candidature à l’Élysée pour porter les couleurs du gaullisme social. Arrivé quatrième d’une primaire à laquelle il s’était juré de ne jamais participer, il a connu, depuis, quelques moments d’introspection. « Il a fait sa propre analyse. Il sait qu’il n’était pas assez préparé », confie un fidèle, quand d’autres avouent l’avoir parfois vu ces derniers mois « décontenancé ». « Il avait raison sur tout : il ne fallait pas de primaire ! Il s’est automutilé pour le bien collectif parce que deux candidats de droite, c’était zéro gagnant », fulmine un vieil ami. Sévère sur les prémices de ce quinquennat, le voilà remonté sur son cheval. Même s’il ne devrait pas briguer la tête des Républicains pour se concentrer sur sa boîte à idées « Nous France », il plaide pour que la génération des trentenaires, dont le député du Lot Aurélien Pradié, assure la relève.

Habile façon d’empêcher que sa famille politique ne tombe entre les mains d’un Laurent Wauquiez, qu’il suspecte de vouloir la droitiser. Il voit en lui son grand rival pour 2027. Car Xavier Bertrand, comme il le répète en privé, n’a « renoncé à rien » pour porter ses idées et éviter une victoire des extrêmes, convaincu qu’après dix ans de Macron les Français chercheront l’antithèse. « On va droit vers l’avènement de Marine Le Pen dans cinq ans. La seule façon de l’empêcher, c’est de ne pas avoir un énième énarque à la présidentielle. Il faudra un homme qui vient du peuple et lui ressemble », plaide l’un de ses lieutenants. Suivez son regard.

Le Point : Marine Le Pen a gagné plus de 1 million de voix aux législatives depuis 2017. Peut-elle s’installer à l’Élysée dans cinq ans ?

Xavier Bertrand : Sans un sursaut de la droite républicaine, sa victoire en 2027 n’est plus une hypothèse, c’est une très forte probabilité ! Une mécanique infernale s’est mise en place, dont Emmanuel Macron est responsable, il a joué avec le feu. De plus, la stratégie du costard- cravate des députés FN (sic) est très efficace. Elle ne vise plus à dédiaboliser, mais à les notabiliser. Empêcher la victoire des extrêmes continuera à être mon combat pour les années qui viennent.

Mettez-vous sur le même plan La France insoumise et le Rassemblement national ?

Je n’accepterai jamais la déclaration de Jean-Luc Mélenchon « La police tue », son instrumentalisation du communautarisme, pour ne prendre que ces exemples. La vérité est que, malgré son hold-up médiatique permanent, la Nupes a échoué au second tour des législatives. Sa coalition, cartel électoral, va survivre un moment, prenant en otages les sociaux-démocrates et les électeurs de gauche républicains, mais elle n’a plus de marge de progression. La Nupes ne peut pas accéder au pouvoir. L’extrême droite si, en continuant à profiter des colères des Français et si une partie de la droite légitime les idées de Marine Le Pen. Il n’est pas question d’avoir la moindre complaisance à l’égard des extrêmes.

Quelle est l’autre option ? Votre parti, les Républicains, est-il mort ?

En politique, on n’est mort que le jour où l’on baisse les bras ! Pour repartir au combat, il y a cependant un préalable : être lucide. Arrêtons de faire croire qu’on a gagné les élections ! Nous avons perdu la présidentielle avec moins de 5 % et quasiment divisé par deux notre groupe à l’Assemblée. Notre score doit rester une anomalie dans l’histoire de la droite. Je me battrai pour qu’elle ne joue jamais les supplétifs et qu’elle redevienne une force centrale. Je ne veux pas que l’on connaisse, avec cinq ans de décalage, le destin du PS, qui, après avoir choisi la ligne de Benoît Hamon, est allé se soumettre à Jean-Luc Mélenchon. Je ne veux pas que Marine Le Pen impose un jour une Nupes de droite. On me trouvera toujours pour m’y opposer, car nous n’avons rien en commun avec le RN.

Comment ? En briguant la tête des Républicains cet automne ?

Pour nous reconstruire, il faut faire monter une nouvelle génération. Notre responsabilité est d’assurer la transmission, de faire la place aux jeunes. Quand j’ai renoncé à mes fonctions de député pour me consacrer aux Hauts-de-France, mon successeur Julien Dive avait 31 ans. Quand j’ai quitté la mairie de Saint-Quentin, c’est Frédérique Macarez, qui avait 38 ans, qui m’a succédé. Cette génération des trentenaires n’a pas exercé le pouvoir car elle a été élue après 2012. En leur permettant d’accéder à des responsabilités maintenant, ils pourront incarner l’alternance plus facilement. Ils sont une force collective. Je pense aux députés Aurélien Pradié, Virginie Duby-Muller, Julien Dive ou Pierre-Henri Dumont. Face à Adrien Quatennens (LFI) et Jordan Bardella (RN), nous avons besoin de nouveaux visages. Et puis il ne s’agit pas de choisir cet automne qui portera nos couleurs à la prochaine présidentielle ! Personne, à LR, n’a envie de revivre une deuxième primaire en moins d’un an.

À qui doit s’adresser en priorité la droite ? Aux électeurs de Le Pen et de Zemmour ?

On a le droit de vouloir continuer à aller dans le mur, mais ce ne sera pas ma stratégie. Les Français veulent vivre en sécurité, vivre de leur travail et assurer l’avenir de leurs enfants. Je m’inscris dans une droite populaire qui croit à l’autorité, qui ne veut ni de la déconstruction ni du wokisme. Mais l’extrême fermeté, ce n’est pas courir derrière les extrêmes. Mon ADN, c’est la valeur travail, l’escalier social et la promotion des classes moyennes. Avec mon mouvement « Nous France », j’apporterai des solutions nouvelles. Seule une République des territoires, en tournant la page du centralisme parisien, nous permettra de gouverner et de vivre mieux. Reconnaissons que la droite ne parle plus à grand monde : ni aux entrepreneurs, ni aux jeunes, ni aux urbains, ni aux employés et aux ouvriers. Ça commence à fairebeaucoup…

Cette « droite populaire » n’est-elle pas préemptée par Marine Le Pen ?

Si c’était le cas, je n’aurais pas été réélu en 2021 dans ma région en faisant reculer le RN de 15 points. Quel est le danger qui guette la société française ? Le désarroi des classes moyennes, trop riches paraît-il pour être aidées, pas assez pour s’en sortir. Le jour où elles se décourageront et ne feront plus barrage aux extrêmes, Madame Le Pen sera élue. Cela impose au gouvernement un devoir de vérité : sur la crise liée à l’Ukraine, qui n’est pas terminée, et sur ses conséquences, sur le risque de coupure de gaz et d’électricité cet hiver, sur la crise alimentaire qui couve, sur la dette dont Bruno Le Maire disait avant l’élection qu’elle était sous contrôle ! Penser que les Français vont continuer à payer leur plein d’essence à
2,20 euros le litre sans rien dire relève de l’inconscience.

Quand on voit les propositions de votre parti sur le pouvoir d’achat, la droite semble s’être très bien adaptée au « quoi qu’il en coûte » !

La question de la dette a été trop absente de cette campagne. Les Français savent que l’argent magique n’existe pas. Qu’à la fin du bal il faudra bien régler les musiciens. Le moment est venu d’envisager autrement la dépense publique, comme nous avons su le faire dans les régions que nous gérons.

Nationaliser EDF, c’est une bonne chose ?

C’est la seule solution pour retrouver notre souveraineté énergétique. Il est dommage qu’on ait dû subir les errements stratégiques d’Emmanuel Macron, qui a fermé la centrale de Fessenheim pour rouvrir aujourd’hui une centrale à charbon. On marche sur la tête…

Vous parliez d’autorité. Le pouvoir a-t-il menti sur le Stade de France ?

Évidemment ! Le ministre de l’Intérieur l’a reconnu tardivement, alors que le scénario du mensonge a été établi le soir des faits au sommet de l’État. Tout le monde a compris que ce ne sont pas les supporteurs anglais qui sont venus avec des machettes pour détrousser mais des bandes, avec des méthodes d’agression ultraviolentes. Combien de mandats de dépôt ont été prononcés ? Il faut arrêter avec le déni, le laxisme et casser la spirale de l’impunité.

Quelle doit être l’attitude des députés LR face au gouvernement ?

Ne pas être dans le camp des bloqueurs. Le sujet n’est pas de savoir si ce quinquennat sera réussi pour M. Macron, mais s’il sera utile aux Français. Nous faisons face à deux risques : celui d’une crise politique majeure, mais aussi celui de l’immobilisme. Regardez l’Assemblée, tout cela commence à ressembler furieusement à la IVe République ! Prenons garde que les Français ne pensent pas que les jeux parlementaires sont devenus la priorité alors qu’eux- mêmes souffrent. L’Histoire ne doit pas retenir qu’Emmanuel Macron aura fait passer des textes grâce au FN alors qu’il y a eu un front républicain le 24 avril pour le faire réélire. La seule façon, c’est d’entendre LR. Nous sommes les seuls capables de présenter des propositions solides et de faire passer les textes indispensables.

Votre parti a refusé de former une coalition pour diriger le pays !

En confirmant Élisabeth Borne à Matignon, malgré son échec aux législatives, Emmanuel Macron a adressé une fin de non-recevoir. C’est son choix ! Le peuple français est un modèle de maturité : il a voté Macron parce qu’il ne voulait pas de Le Pen à l’Élysée. Aux législatives, il ne voulait pas du Macron du dernier quinquennat, celui qui décidait seul. Les Français ont voulu cette Assemblée, il faut respecter leur vote. Est-ce que M. Macron le fait ? Non. L’enjeu pour lui, c’était d’être prolongé, sans idées nouvelles ni vision. Je reste convaincu qu’un mandat non renouvelable est la bonne solution pour se consacrer à sa seule mission, sans arrière-pensées, et engager des réformes justes.

S’il vous proposait Matignon, vous accepteriez ?

Je ne fais et ne ferai pas partie de sa majorité présidentielle, ni aujourd’hui ni demain.

Les Républicains voteront-ils la réforme des retraites ?

L’espérance de vie progresse, nous devrons travailler plus longtemps. La solution passera par un report progressif de l’âge de départ ou par un allongement de la durée de cotisation, car il est impensable de voir baisser les pensions. Mais cette réforme ne pourra pas être la même pour tous. Je veux tenir compte de la véritable injustice que représente la différence d’espérance de vie au moment du départ à la retraite et reconnaître l’usure physique, comme la droite l’avait fait avec le dispositif carrières longues.

Vous évoquez souvent les « fractures » françaises. Quelles sont-elles ?

Elles sont si nombreuses et profondes : sociales, territoriales, générationnelles même. Le sentiment d’injustice et de révolte les creuse davantage. Mais il n’y a pas de fatalité, les Français ont soif de se retrouver. Deux événements m’ont marqué dans les Hauts-de-France. Prenez le Tour de France, qui donne la mesure de ce qu’il représente : le goût de l’effort, le brassage populaire. J’étais aussi à Lille pour le concert d’Indochine, dont le chanteur Nicola Sirkis, qui réunit trois générations, fait applaudir les policiers, l’Ukraine et la lutte contre l’homophobie. Ça, c’est du « en même temps » qui a du sens ! Je ne me résoudrai jamais à ce que la musique et le sport soient les seuls moyens de brasser et de rassembler les Français. Sans doute, au-delà de ma détermination, n’étais-je pas encore suffisamment préparé

Quelles leçons avez-vous tirées de votre échec à la primaire de la droite ?

Je n’ai pas su convaincre les autres candidats que la primaire était la plus mauvaise solution. Car ce sont toujours les positions les plus extrêmes qui s’imposent et déteignent sur la compétition. Malgré mes efforts, nos débats ont été pris en otage par le discours d’Éric Zemmour, alors que les Français attendaient des réponses sur le pouvoir d’achat, la justice et leur aspiration à l’unité. Sans doute, au-delà de ma détermination, n’étais-je pas encore suffisamment préparé.

Quelle va être votre place, désormais ? Vous vous projetez sur 2027 ?

Mon énergie est intacte. Je me battrai de toutes mes forces pour empêcher la victoire des extrêmes. Je le ferai en lançant des initiatives dans ma région pour améliorer le quotidien de ceux qui ont une vie difficile alors qu’ils travaillent dur. Je le ferai en aidant une nouvelle génération à s’imposer. Quant à 2027, c’est encore loin et ce n’est certainement pas la préoccupation des Français aujourd’hui.

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