Eurodrone : « Nous nous remettons dans les mains des Américains avec ce moteur », Cédric Perrin, sénateur LR (La Tribune)

Airbus a choisi le moteur d’Avio, une filiale italienne de l’américain General Electric (GE), pour équiper le futur drone européen, plutôt que celui de Safran. Selon le sénateur Les Républicains du Territoire de Belfort et vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, le choix d’Airbus met ce programme en état de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. « Airbus ne peut pas garantir qu’en 2022 ou en 2030, ce moteur sera ITAR free avec plus de 10% des pièces d’origine américaine« , estime-t-il.

Article par La Tribune : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/eurodrone-nous-nous-remettons-dans-les-mains-des-americains-avec-ce-moteur-cedric-perrin-senateur-lr-907022.html

Article de Michel Cabirol

La Tribune : Qu’est-ce que vous pensez de la décision d’Airbus de sélectionner le moteur d’Avio au détriment de celui de Safran Helicopter Engines pour équiper le drone MALE européen, l’eurodrone ?

Cédric Perrin : C’est une décision qui est une décision qui tombe à un bien mauvais moment, au moment où les Européens essaient de trouver une solution pour construire une véritable Europe industrielle de la défense. Elle tombe également au moment du débat présidentiel français, où les autorités françaises peuvent difficilement s’exprimer compte tenu de la réserve et des difficultés que cela implique. Et puis, cette décision va à l’encontre de ce que la France et l’Europe recherchent depuis le départ avec ce drone MALE européen, c’est-à-dire la souveraineté. Aujourd’hui, nous nous remettons dans les mains des Américains. Ce moteur est américain (General Electric) même s’il est principalement fabriqué en Europe (GE République tchèque, GE Pologne, GE Allemagne et GE Italie) ainsi qu’un peu aux Etats-Unis. Surtout on ne peut pas faire évoluer ce moteur sans l’accord des Américains si demain par exemple il devait gagner en puissance. Résultat, cela ne lui permettra pas d’être ITAR free, contrairement à ce que veulent bien affirmer aujourd’hui un certain nombre de personnes au sein d’Airbus. Les normes ITAR et EAR changent et, donc, on se met à nouveau dans la main du Congrès américain.

La solution proposée par Safran était-elle la meilleure en matière de souveraineté ?

Sur le plan de la souveraineté européenne, elle était sans aucun doute la meilleure solution. D’autant que la solution de Safran n’est pas une solution franco-française mais une solution européenne. Elle réunit deux entreprises allemandes MT-Propeller et ZF Luftfahrttechnik (ZFL), l’espagnol ITP et l’italien Piaggio Aerospace. Et donc, la vraie solution européenne est celle de Safran.

Pas sûr que les Italiens soient d’accord avec cette solution…

Pour les Italiens, le sujet Piaggio Aerospace permettait sans aucun doute d’avoir a minima un retour industriel presque aussi important (autour de 21%) que celui qu’ils ont avec Avio (23%). Il est important de le dire pour balayer toute polémique sur le fait que l’Eurodrone ne serait qu’un sujet franco-français. Pas du tout. C’est un sujet européen.

Airbus estime que le moteur d’Avio était plus mature, plus performant et plus économique que celui d’Avio. Qu’en pensez-vous ?

Mais cela n’a pas de sens. Airbus achète sur étagère un moteur, qui devra à nouveau être certifié pour fonctionner sur un drone. Le problème n’est pas technique, il est politique. En outre, Airbus a aussi peut-être la volonté de faire émerger sur le marché européen un nouveau motoriste, pour créer de la concurrence. Je trouve que la décision d’Airbus est une décision plutôt cynique à ce moment précis de notre histoire militaire et européenne.

Qu’est-ce que vous préconisez ?

C’est une décision prise aujourd’hui par Airbus et qui est annoncée aux gouvernements européens. Les gouvernements européens partenaires du programme, et surtout la France, doivent refuser le choix d’un moteur américain. Ils doivent prendre cette décision. C’est une nécessité absolue. Compte tenu de la situation en Europe, cette décision n’est pas, de mon point, complètement actée. C’est maintenant aux gouvernements de décider.

Je rappelle que nous avons fait le choix d’acheter du matériel européen en recherchant essentiellement la souveraineté au détriment de plusieurs critères calendaires et de prix. Le drone MALE européen va arriver quasiment dans huit ans. Il sera potentiellement déjà obsolète au moment où il sera mis en service même si Airbus affirme le contraire. En outre, ce drone sera plus cher en raison de ses coûts de développement importants. Il faut donc qu’a minima nous ayons la souveraineté. Car si nous ne l’avons pas, ce drone ne pourra pas être potentiellement ex-portable puisqu’il ne sera pas ITAR free. Cet élément jouera sur la rentabilité du programme. Je sais bien qu’Airbus n’est pas d’accord mais il y a quand même anguille sous roche, comme on dit.

Aujourd’hui, Airbus assure que le moteur d’Avio est « ITAR free » et qu’il a pris des garanties contractuelles vis-à-vis d’Avio ? Estimez- vous possible de tenir cet engagement ?

Ce qui est sûr, c’est que la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. On sait pertinemment que le Congrès américain ne tiendra pas compte de cette contractualisation, les normes ITAR étant très évolutives. Je ne vois pas comment on peut garantir qu’en 2022 ou en 2030 ce moteur sera « ITAR free » avec plus de 10% de pièces d’origine américaine. Un simple boulon américain permet aujourd’hui aux Etats-Unis de bloquer une vente à l’exportation. Donc, je suis très dubitatif sur cette affirmation.

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